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Nisrine Ouazzani - MCISE

Créé en 2012 par des acteurs de la société civile et des entrepreneurs, le Centre marocain pour l’innovation et l’entrepreneuriat social (MCISE) emploie aujourd'hui 60 personnes dans toutes les régions du Royaume, dont un pool de formateurs exerçant un travail de proximité, sur le terrain, auprès des 1 500 porteurs de projets (startups, TPE, auto-entrepreneurs et organisations de la société civile) qui seront incubés en 2022.

Parmi les partenaires du MCISE figurent le Centre régional d'investissement (CRI) de Casablanca-Settat et l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH) ou encore l'Union européenne (UE) et l'Unesco. La directrice générale du MCISE, Nisrine Ouazzani, revient sur les défis, les réussites et les réformes à considérer dans l’entrepreneuriat social au Maroc. 

Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les entrepreneurs sociaux ?

L’importance de l’entrepreneuriat social est reconnue, surtout depuis le Printemps arabe, pour aider à la résolution de problématiques sociales. Tout un plaidoyer reste à faire, cependant, pour expliquer que l'entrepreneuriat social n'est pas de la charité, et obtenir un statut juridique particulier. Les entrepreneurs sociaux s'organisent le plus souvent en association, sans toujours avoir le business model nécessaire à la pérennité de leur entreprise. 

Seconde difficulté : le manque de financements empêche de se professionnaliser rapidement et d'opérer le passage à l’échelle en phase de développement. Enfin, des défis d’ordre humain ont trait à la difficulté de tenir la mission, au manque de success stories ou de communication à leur sujet - ce qui impacte la volonté d’entreprendre -, ainsi qu’au défaut de compétences et d’expertises locales. Il manque par ailleurs des systèmes d'évaluation dont nous pourrions tous tirer des leçons, à la fois sur les projets endogènes que nous soutenons, et sur les politiques publiques destinées à soutenir nos écosystèmes. 

Il existe pourtant des réussites qui pourraient avoir un effet d’entraînement ?

Oui, je pense par exemple à Educall, une entreprise sociale de Rabat accompagnée par plusieurs incubateurs dont le MCISE, qui propose des méthodes éducatives alternatives et ludiques (notamment inspirées des Nations unies) basées sur les nouvelles technologies. Cette entreprise sociale qui a des institutions pour clients fonctionne très bien, avec des partenaires solides comme la Banque mondiale.

Amaz Sneakers, une marque de chaussures éco-responsable lancée par une jeune Marocaine, s'est dotée d'une branche dénommée Amaz for Education qui vise à améliorer l'accès à l'éducation des filles dans les zones rurales. Elle travaille avec l'association Education for All, qui construit des internats pour rapprocher les jeunes filles des collèges et des lycées, souvent trop loin de leurs domiciles. Pour chaque paire de chaussures vendue, c'est un jour de pensionnat pour une fille scolarisée dans le secondaire qui est financé. Depuis 2017, Amaz a pris en charge l'équivalent d'une année pour 8 élèves.

Autre exemple : l'ONG Step'Out, incubée en 2017 par le MCISE, a développé un programme qui accompagne les étudiants en médecine et leur propose de "sortir de leur zone de confort" pour devenir de "bons médecins". Ce programme organise des retraites pour renforcer les compétences, notamment aux urgences. Il conseille dans l'orientation vers des spécialités, avec une Masterclass sur les possibilités d'études à l'étranger. Step'Out connaît le succès, avec une page Facebook qui compte 15 000 abonnés. 

À signaler : même si le projet d'entreprise n'aboutit pas, des reconversions sont toujours plus faciles grâce au coaching, qui permet de dépasser la peur de l'échec et apporte des compétences. Nos formateurs sont tous des entrepreneurs eux-mêmes. Nous avons accompagné 700 entreprises en 2021, et un suivi doit mesurer leur état d'avancement. Il faut absolument mettre en place un rétroviseur pour évaluer l'impact réel de tous les incubateurs qui existent, et nous sommes en train d'y travailler avec la Fédération de l'écosystème startup au Maroc (MSEC). 

Que faudrait-il changer ou réformer ?

Un statut spécifique pour les entreprises sociales leur permettrait de mieux se développer, de passer à l'échelle et gagner en crédibilité auprès des partenaires financiers. Il faut aussi promouvoir l’éducation pour l’entrepreneuriat et l’innovation sociale, y compris dans les lycées comme le MCISE le fait. Encore une fois, il faut se servir d'outils scientifiques pour la production de « recherche utile » : il s'agit des études d'évaluation d'impact, afin de mieux adapter les programmes aux besoins.

Enfin, il s'agit de démocratiser l’accès aux financements et faire la promotion active de l’entrepreneuriat féminin. Dans plusieurs de nos programmes, notamment sur les TPE avec le Centre régional d'investissement de Casablanca-Settat, nos formateurs font un effort considérable pour conserver les femmes dans le programme, et nous observons qu'il est alors possible d'obtenir la parité. Sans cet effort, une déperdition des femmes s'opère pour des raisons économiques, sociales et culturelles.